mercredi 19 octobre 2016

Échec de l'enseignement par compétences, retour à une instruction centrée sur les connaissances


Le chercheur américain E. D. Hirsch, de l’université d’Harvard vient de publier un nouvel essai, Why Knowledge matters, dans lequel il développe la théorie qui lui est chère : l’enseignement le plus à même de structurer une société, et de donner ses chances à tous, est l’enseignement classique fondé sur l’acquisition des connaissances de base. Il oppose ainsi l’éducation du contenu à l’éducation des compétences, illusion progressiste qui laisse trop d’élèves sur le bord de la route, comme le démontre cruellement la faillite du système scolaire français depuis qu’il est régi par les thèses de Pierre Bourdieu et qu’il pourfend l’acquisition verticale des connaissances. Le Québec a adopté ces mêmes modes de l’éducation des compétences.



En imposant le sacrifice d’une éducation fondée sur la mémorisation des contenus au profit de la « différenciation pédagogique », les intellectuels progressistes ont tué l’école française. Et accentué le fossé social qu’ils voulaient combler.

À 88 ans, E.D. Hirsch poursuit le combat de sa vie : réhabiliter l’éducation traditionnelle, fondée sur la mémorisation et l’apprentissage du contenu. Dans un livre tout juste paru, Why Knowledge Matters (Harvard Education Press), le célèbre professeur américain de sciences de l’éducation rappelle les mérites de « l’alphabétisation culturelle », seule à même de produire une société unie, et surtout de donner sa chance à chacun. E.D. Hirsch dénonce l’illusion progressiste consistant à enseigner des « compétences » (skill-based) : capacité argumentative, qualités sociales, esprit critique, faculté d’analyse, créativité individuelle, etc. En s’appuyant sur les sciences cognitives et sur la linguistique, il démontre que de telles compétences sont intrinsèquement liées à l’information mémorisée. Pour produire des individus autonomes et modernes, il faudrait donc, de manière contre-intuitive, rétablir un curriculum strict et classique.

Un pays démontre de manière exemplaire et documentée l’échec des méthodes progressistes : la France. E.D. Hirsch consacre un chapitre entier aux réformes de l’éducation dans notre pays, éloquemment intitulé « la débâcle française ». Le constat est douloureux : avec l’entrée en vigueur de la loi Jospin en 1989, qui met en place avec les meilleures intentions du monde la « différenciation pédagogique » (l’idée d’adapter l’enseignement à la diversité des élèves), la France a sacrifié une éducation réputée et un ascenseur social relativement efficace pour devenir en moins de trente ans le pays le plus inégalitaire de l’OCDE, selon le récent rapport du Cnesco. En bon chercheur, E.D. Hirsch cite ses sources, et félicite au passage l’administration française d’avoir tenu un compte si méthodique de ses propres erreurs. On peut voir ainsi comment, de 1987 à 2007, toutes les mesures d’évaluation à l’entrée au collège montrent un fort déclin du niveau moyen, plus marqué encore s’agissant des ouvriers et des chômeurs. Le psychodrame récurrent du classement PISA, dont la prochaine édition est attendue en 2017, a le mérite de montrer de manière assez irréfutable l’étendue de la « débâcle ».

E.D. Hirsch retrace les origines de ce changement de paradigme. Il insiste sur l’œuvre dévastatrice de Pierre Bourdieu, en contestant la méthodologie de son opus majeur Les héritiers (« ahurissant de superficialité »), et en critiquant les conclusions du rapport Bourdieu-Gros qui inspira les réformes radicales du gouvernement Rocard. « L’école nouvelle » dont Bourdieu s’était fait le chantre a ainsi importé le pire de la conception... américaine : naturalisme de l’apprentissage (d’où la méthode de lecture globale par exemple), refus d’une transmission culturelle jugée trop homogène, victoire de la « logique » formelle sur « l’encyclopédisme » des connaissances réelles, le tout emballé dans un verbiage conceptuel que E.D. Hirsch baptise « individualisme providentiel » — soit l’idée, rousseauiste au fond, que le développement individuel devrait s’opérer de manière spontanée, sous le regard bienveillant d’un maître devenu simple guide. Là comme ailleurs, la France ensorcelée par ses intellectuels a saboté son legs révolutionnaire [hmmm] : le système scolaire hérité de Condorcet n’avait-il pas permis à Bourdieu, fils de paysans béarnais, d’intégrer les meilleures écoles du pays ?

Les lanceurs d’alerte sont légion. E.D. Hirsch les cite avec l’admiration qu’on réserve aux vrais rebelles, du mathématicien de renommée mondiale Laurent Lafforgue au jeune philosophe François-Xavier Bellamy. Il est temps de les prendre au sérieux. La contre-réforme autour du « socle de connaissances » est encore trop timide.

Promouvoir une forme d’éducation conservatrice n’est pas un projet réactionnaire. E.D. Hirsch, qui s’est toujours revendiqué de la gauche démocrate, n’a pas de mots assez durs contre les progressistes qui, en rejetant la culture hors de l’école, ont laissé la reproduction sociale atteindre des niveaux insoutenables. Ce n’est pas non plus un projet autoritaire. Le libéralisme commence à 18 ans. Avant, il n’est que licence. Pour pouvoir briser le statu quo, il faut avoir assimilé la tradition. Pour penser librement, il faut partager un terreau culturel que E.D. Hirsch appelle, dans un autre livre, « l’oxygène des relations sociales ». De l’air !


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